Je suis très heureux de vous rencontrer, vous êtes né en 1946 à Sanvic au Havre, quand et comment avez-vous commencé à peindre ? Je peins depuis l’âge de 14 ans avec des coupures dues à ma carrière, j’ai toujours aimé griffonner, à l’école mes résultats étaient plus que moyen mais les marges de mes cahiers étaient recouvertes de dessins de toutes sortes. Pendant ma 14éme année mon père m’a incité à me présenter aux anciens Ets Gallet qui recherchaient des peintres. Pour montrer mon travail, Mr Pichard le directeur m’ayant laissé sujet libre, j’ai en toute « modestie » décidé d’écrire mon nom en dégradé avec un fond représentant un ruban, une ombre portée, des couleurs chatoyantes. C’est ce dessin qui m’a permis d’être embauché. J’ai donc commencé à apprendre à peindre jeune, sur le terrain, dans cette maison Gallet qui m’employait et aux beaux arts du Havre. Cette entreprise établie rue Paul Souday, était spécialisée dans les rideaux réclames et les affiches de films pour les cinémas. Nous avions mes collègues apprentis et moi nos maîtres formateurs et suivions des cours aux beaux arts. Mais il y a toujours une différence entre la théorie et la pratique et pendant ces 4 ans c’est sur le tas que j’ai le plus appris.
Parlez nous de ce métier peu connu de peintre en lettre décorateur. Ce métier a disparu, remplacé par la technique, mais à l’époque dans les anciens Ets Gallet nous peignions les rideaux réclames, des décors de théâtre et les grandes affiches du Rex. Deux grands panneaux toilés de 5x3mn (environ) représentant les affiches du film sorti.
C’était quoi un rideau réclame ? A l’époque une séance de cinéma c’était ; un documentaire ou les actualités, la publicité filmée pour les confiseries, puis le rideau recouvert de réclames locales pendant l’entracte et enfin le film. Non seulement la publicité sur ces rideaux était locale mais était ciblée par rapport à l’emplacement du cinéma. Au Havre le Palace et le Normandie faisaient la pub pour le Petit Paris par exemple.
Vous étiez nombreux à y travailler? Toute l’équipe une trentaine, Emile Rélu était le chef et Roger Guerrant son assistant. Emile Relu pouvait reproduire à l’identique, mais bien sur en beaucoup grand, une affiche de film. Il travaillait debout sur la toile et utilisait pour ses tracés un jonc au bout duquel était fixé un fusain. Je me souviens des énormes affiches du REX pour la sortie de Pinocchio ou celle du film Hatari avec John Wayne. Sur cette affiche j’étais intervenu sur le rhinocéros qui évite la Land Rover dans la savane.
Combien d’entreprises en France produisaient ces rideaux. Il n’y en avait que deux, Gallet qui couvrait tous les cinémas de France et une autre pour tous les cinémas Parisiens.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ce fameux rideau réclame, concrètement cela se passait comment ? Un rideau durait trois ans, le temps du contrat, puis il était lavé et repeint au bout de cette période. Dans l’atelier, neuf ou lavé, il était tendu sur le sol et nous le pulvérisions au pistolet avec une colle de poisson pour que la toile devienne rigide et souple. La peinture, à chaud, était aussi à base de cette colle de poissons facilement lavable. Pendant ce temps là les maquettistes préparaient en réduit les encarts et Rélu et Guerrant s’occupaient des décors et du fond. Nous étions chaussés de souliers à semelles de cuir absolument lisses afin d’éviter les marques sur les rideaux. Nous nous installions sur une feuille de papier protectrice avec nos portoirs remplis de pinceaux et nos mélanges de pigments à l’emplacement de notre case et commencions le tracé au fusain. Tout ce faisait à main levée presque sans traçages hormis les portées, nous mélangions nos couleurs parfois directement sur le papier de protection qui se transformait vite en un amas de couleurs. Seul Roger Guerrant disposait harmonieusement ses mélanges, leurs donnait des formes, tout en travaillant il préparait ses futurs tableaux. Quelques un de ces papiers, encadrés, ont été exposés à l’hôtel de ville récemment.
Faisiez vous le rideau complet ou étiez vous spécialisés sur un type de calicot, une marque ou un produit ? Nous peignions de tout mais avions plus ou moins notre spécialité, Gustave par exemple était le spécialiste des lettres, de la courante, la belle lettre, moi à un moment je faisais souvent les lunettes et les jumelles. Nous devions dessiner les marques à l’identique dans les teintes exactes demandées par le client. Nous étions 6 apprentis et nos chefs nous répartissaient les cases selon notre "savoir-faire".
Il fallait combien de temps pour élaborer un rideau ? Un rideau moyen devait être fait en une semaine, ensuite il était livré et monté par nos propres techniciens n’importe où en France.
L’exercice de ce métier vous a mis en contact avec des artistes de renoms, que cela vous a-t-il apporté ? C’est Emile Rélu qui m’a le plus impressionné par son talent mais je n’ai pas oublié les conseils que me donnait Roger Guerrant quand il nous arrivait de partir peindre dans sa vieille Deudeuche sur les falaises ou à Honfleur. Il y a aussi André Boggio-Pasqua que j’ai retrouvé il y a peu. J’ai fréquenté des personnes moins connues mais non sans talent dans le monde du cinéma, de la photographie, enfin beaucoup de personnes du monde de l’art.
La multiplication des petits films de réclame de Jean Mineur et son fameux Balzac 00.001 ont remplacés petit à petit les rideaux, comment vous êtes vous recyclé ? La publicité était devenue nationale basée sur les marques et non plus sur les commerçants locaux. Je sentais bien que ce métier n’était pas rémunérateur et était appelé à disparaître ainsi de 65 à 70, j’ai exercé divers métiers, dont celui de peintre décorateur chez un artisan, un des dernier à utiliser la technique très particulière et oubliée maintenant du mur miroir. Ensuite dans les années 68, j’ai travaillé pendant deux ans au magasin « le dessin » av Foch que tenait Mr Georges Godefroid. Mon travail consistait à reproduire des documents, tirer des plans et les livrer. Pour la petite anecdote, un jour on m’a demandé de reproduire les pages d’un scénario de film dont le titre était « La Horse » sans savoir que je travaillais chez son auteur. En effet, mon patron Mr Godefroid était bien connu dans le milieu de la Série noire sous la signature de « Michel Lambesc » et n’en était pas à son premier scénario. C’est aussi dans ces circonstances que j'ai failli voir Jean Gabin un jour où il était venu discuter du film avec mon patron. Je mourrais d’envie de le voir, mais j’étais jeune à l’époque et n’avais pas osé quitter mon poste. Puis j’ai quitté ce métier pour entrer chez Renault et j’y suis resté 34 ans. Les 10 ans à la chaîne ne m’ont pas arrangés la santé. Quand la fabrication de la R16 s’est arrêtée subitement nous nous sommes retrouvés du jour au lendemain désœuvrés dans l’atelier. Pour nous occuper notre chef, Yvon Gosselin, à restructuré les équipes et nous a attribué de nouvelles tâches. A mon travail on avait déjà remarqué mon goût pour la peinture, depuis longtemps je profitais des 12mm de pose pour dessiner à la craie sur les parois de mon poste de soudeur, c’est pourquoi il m’a donné une nouvelle tâche assez incroyable. Il m’a proposé de décorer les 200m de mur de l’atelier en y accrochant des tableaux de toutes les voitures fabriquées par la marque. En commençant par la 3/4 de cheval (1889) et en suivant les nouveaux modèles. On m’a installé dans un atelier désaffecté et je peignais les voitures et leurs décors sur des tôles que l’on me préparait. J’étais toujours OS mais détaché de la chaîne. J’ai reproduit ainsi les véhicules pendant 8, 10 ans, jusqu’à la R-25. Je faisais aussi des cadeaux d’entreprise, sous forme de tableaux personnalisés offerts par la direction à certains visiteurs de marque. Des tableaux pour des départs en retraite. Tous ces panneaux ont disparus pendant le regroupement des ateliers, mais je sais qu’ils n’ont pas étés perdus pour tous le monde. Je travaillais aussi avec le peintre officiel de la régie et nous nous sommes occupés à codifier et mettre en place tous les codes couleurs pour réglementer les passages dans les usines du groupe. J’ai été ensuite au service communication de l'usine. Après une petite formation de journalisme je me suis occupé de la revue interne et des petits films qu’on pouvait me demander de tourner. Détaché de la chaîne, j’étais en dehors de l’organisation normale, c’est ainsi que je détiens un record à la régie Renault. Je suis entré OS et je suis sorti OS, en fait je suis resté au même coéff pendant 34 ans. Cette période ne m’a pas vraiment enrichie pécuniairement parlant.
Maintenant vous pouvez exercer votre passion pour la peinture à plein temps, où trouvez-vous votre inspiration ? Principalement en extérieur, auprès de tout ce qui nous entoure. Je peins principalement pour mon plaisir, et tant pis si mes tableaux ou les sujets que je peins ne plaisent pas car c’est le plaisir de les faire qui compte à mes yeux.
Avez-vous un maître Un maître ? Des maîtres oui et pleins … Michel Ange, le Caravage, les peintres de la renaissance Italienne, les Impressionnistes, mais celui qui a impressionné ma jeune personne, et je reviens encore à lui, c’est Emile Rélu.
Comment organisez vous une journée de travail ? Quand je peins, je travaille dans mon atelier de 8h du matin à 9h le soir. Je travaille sur ma toile, et quand je veux faire une pause je vais à mon PC, qui est posé à côté, travailler sur notre blog, retour au tableau etc… cela me permet de reprendre ma peinture avec un œil neuf. Je passe de l’un à l’autre suivant mon humeur mais quoi que je fasse, j’accorde toujours autant de temps à visiter la blogosphère Havraise.
Pouvez-vous nous en dire plus sur le blog « Havrais dire » que vous administrez ? Je n’administre pas, je publie des articles, l’administration du blog c’est Nicéphore. C’est lui qui l’a paramétré pour que l’on puisse lire le blog comme un livre. Sans superflus, sans publicité, pour que rien ne puisse gêner la consultation de nos pages. Je sais que l’on peut être rémunéré par la pub mais notre récompense c’est le nombre de visiteurs et les commentaires laissés sur nos pages. Et je mets un point d’honneur à répondre à tous les commentaires. J’y passe beaucoup de temps, mes reportages les plus faciles me prennent 2 jours et les plus compliqués une semaine.
Vous êtes aussi passionné de photo quelle est votre matériel ? Je ne me considère pas comme un photographe, je prends principalement des photos pour illustrer mes articles. J’ai un Canon EOS 450 D avec un Tamron 18/200. Avec sa grande amplitude cet objectif est idéal pour mes clichés en ville.
Et en post traitement quel logiciel utilisez-vous ? Je me sers principalement de Photoshop pour corriger les perspectives des clichés afin de me permettre de juxtaposer au mieux de vieilles cartes postales aux photos actuelles. Ces images fantômes me servent à illustrer mes articles sur les transformations du Havre.
Quelle est votre musique préférée ? La musique classique principalement, mais je ne dédaigne pas le jazz, ou des musiques dites de variété.
Avez-vous d’autres passions ? Ma vie passe d'une passion à l'autre, celle qui m'a occupé et m'occupe toujours est la peinture. Mais je pourrais dire aussi les maquettes, avions ou bateaux. La géologie avec mes 10 ans passé à La S.G.N (Société Géologique de Normandie), la restauration et collection de moulins à café (j'en ai eu plus de 500, les fers à repasser, j'en possède encore 450 environ, la botanique, à laquelle j'ai consacré 10 ans, etc, etc...
Maintenant la question du Havredegraffs : que pensez-vous de l’art urbain, du graffiti, du pochoir ? Je ne connais pas trop, la grande fresque près de la gare est homogène, l’ensemble est harmonieux et j’aime bien, ce qui me déplait c’est le gars qui vient faire sur ton mur un graff plus ou moins bien fait. Pourquoi ne pas leur dédier une place pour qu’ils puissent s’exprimer. Il y a beaucoup de travaux au Havre, ça serait bien de leur laisser toute liberté sur les palissades des chantiers. Tout comme il existe quelques colonnes d’affichage libre dans notre ville pourquoi ne pas faire des panneaux d’expression libre. Malgré toute mon expérience je suis bluffé par le travail des graffeurs, d’autant plus qu’ils n’y a pas d’école pour ça, ils sont autodidactes.
Quels sont vos projets ? J’ai le projet d’ouvrir notre blog à ceux qui ont quelque chose à raconter sur l'histoire du Havre mais qui n'ont ni le temps ni la patience de tenir un blog. Les gens qui voudront écrire un article sur le Havre et son histoire pourront tout simplement nous confier leurs textes et leurs illustrations et nous nous occuperons de la mise en page et de la publication. Bien sûr le texte sera publié sous le nom et la responsabilité de l’auteur. Cela permettra aux amateurs d’histoire locale de mettre en ligne des articles sans avoir le travail et les tracas que demande l’administration d’un blog sérieux.
Dan, je suis ravi de vous avoir rencontré en chair et en os, cette longue conversation fut un plaisir. Je vous remercie, de nous avoir parlé de vous, de votre art, de nous avoir éclairés sur un métier oublié, merci aussi pour le prêt de vos clichés et de vos documents.
Propos recueillis par Mr Yak, Le Havre le 6/11/2009.
A lire l'article sur les Ets Gallet, paru dans le Havre Libre du 7/8 août 1948 intitulé : - 17 rue Paul Souday, un atelier unique, un reportage de Pierre Montigny. (…)
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Commentaires
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Raymond Noyon.
vous recommander quelques choses que vous avez oublié ou vous apporter quelques conseils
secteur, mes compliments pour ce post
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