Merlyn bonjour, vous êtes né à Rouen mais votre signature n’apparaît que sporadiquement dans la région, que faites vous entre ces temps de pause ?
Je suis né à Rouen mais très vite mes parents sont venus habiter au Havre. Je suis né en 84, donc pas très vieux, le milieu du graffiti est jeune au Havre, c’est une particularité de notre ville. Si on ne me voit plus beaucoup dans la région c’est que je n’habite plus ici mais à Lyon, donc je graffe plus souvent dans le Sud. Je reviens de temps en temps et chaque fois j’essaye de faire une peinture. Quand je résidais ici, je faisais tout pour que l’on me remarque afin de m’affirmer et avoir une légitimité comme quelqu’un du Havre tant par la qualité que par la quantité. Même si maintenant, il n'y a plus beaucoup de graffeurs dans notre ville, à une époque ça a bien foisonné et il fallait faire sa place, imposer son style. Surtout au Havre où il y a le respect des anciens comme dit Cevys.
De notre ville certains de ces anciens se sont très bien exportés dans des crews Parisiens ou ailleurs et leurs noms sont toujours connus. Toutes les villes n’ont pas la chance d’avoir le même passif, il faut tenir le niveau. Il y a Jace bien sur qui est sans doute le graffeur le plus connu parmi les gens qui sont passés par le Havre. C’est celui qui a le mieux réussi à se faire connaître, il est vu et reconnu partout dans le monde. 1pek et Nefaz peignaient partout en France, leurs styles et leurs travaux sont toujours respectés. C’est leur notoriété qui a fait venir peindre au Havre de grosses pointures venues d’autres villes. Mais s’ils ont pu peindre ailleurs ils n’oublient pas leurs racines. Je me souviens d’une série de photos de graffs d’1pek parues dans un magasine, prises à Toulouse et dans d’autres endroits, toutes faisaient référence au Havre. C’est pareil pour moi j’ai beaucoup peint à Rouen et dans toute sa région, en Belgique aussi car je fais partie d’un crew à l’origine Belge, à Grenoble et à Lyon. Je graffe donc ailleurs mais je suis attaché à la ville et je continue à suivre le travail de certaines personnes et crews que je côtoyais à l’époque. Voir leurs travaux et leurs évolutions me donnent la gniaque cela me stimule et même si ce n’est pas une compétition c’est quand même un peu pour moi comme une battle amicale et cela me force à aller de l’avant.
Votre pseudo semble tout droit sorti des légendes médiévales, comment l’avez-vous choisi ? Êtes-vous un magicien du graff ? Au début comme tout le monde on cherche un pseudo qui n’est pas déjà utilisé pour ne pas faire d’embrouilles, alors on l’invente de toute pièce ou on se sert de son passif. Dans mon cas à l’époque j’étais assez branché Héroïc Fantasy, jeux de rôles, cartes Magic et tout ce genre de choses. Merlyn avec un y m’a semblé suffisamment original car même sa sonorité change des autres pseudos. Et puis ce nom a une bonne balance pour le lettrage. Quand au magicien non je n’en suis pas un et je me rends compte que je n’ai même jamais associé le personnage du sorcier à un de mes lettrages.
Pourquoi avoir choisi cette forme d’expression et depuis combien de temps la pratiquez vous ? Nous allons rentrer dans ma 10ème année, j’ai commencé au printemps de l’année 2000. L’année d’avant en cours d’art plastique nous avions eu droit à une petite initiation au graffiti, je me souviens être allé prendre en photos les quelques murs qui restaient à Caucriauville où j'habitais, dont le Syrio qui est sur la cheminé des pompiers, pour moi un des meilleurs graffs qui reste au Havre, il date de 94. Il faut replacer le truc dans son contexte, il y avait peu de graffeurs là haut à cette époque. 1pek a fait des formations dans une Sam à un moment et quelques mecs s’y sont mis mais ça n’a pas duré. C’est pourquoi je me sentais un peu seul et n’ai pas cherché à m’y approprier des murs. Caucri ce n’est qu’en 2004, quatre ans après mes débuts, qu’avec Myck de la GSM nous nous y sommes approprié un mur pas loin de Schumann. C’est plutôt pendant mes études rue Félix Faure quand je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup de graffeurs à St Jo et Claude Monet que j’ai vraiment commencé. Rien que dans mon lycée il y avait bien 15 ou 20 mecs qui graffaient, le lycée était bien dégommé. C’est là bas que j’ai appris, que j’ai fait en cours mes premiers sketches et c’est dans ce quartier que j’ai posé mes premiers lettrages. Nous étions assez inconscients et posions nos graffs dans les escaliers du quartier en pleine après midi ou après les cours sans vraiment nous rendre compte des risques. Les mecs qui nous ont initiés nous ont fait connaître quelques terrains et nous y avons migrés. Je me rends compte que je dois beaucoup à ces mecs là, ceux du lycée et ceux rencontrés après comme Arkdor, Prope qui signait Propoz à cette époque, Jyks, Klibe, le crew ATS, Jace, ensuite les gars du NSA, les 3KS et Rednoz, les BAC. Tous ces mecs m’ont influencé et ça se sent dans mes dessins de l’époque. C’est au même moment que j’ai glissé vers le Rap. J’avais plutôt une oreille Rock et c’est à leur contact que je me suis intéressé au Rap US et au Hip Hop dans sa globalité. Les anciens, mon apprentissage leur doit beaucoup, le choix des bombes, les terrains, le style, les codes, tout cela est difficile à appréhender quand on n’est pas aidé.
Qu’est ce qui vous a poussé à choisir le Wild Style ? Le style sauvage, depuis le début c’est ce que je fais, pousser toujours plus loin la construction des lettres et même aller encore beaucoup plus loin et la déstructurer. Ne pas perdre le message mais le compliquer afin de rendre la forme plus intéressante, utiliser des connexions entre les lettres, et placer la fameuse flèche, un classique du Wild style. Les anciens de mon époque étaient en plein dedans, il y avait donc une sorte « d’école Wild style » au Havre et moi je suis tout logiquement parti dans ce trip. Et je continue encore, ce qui me plait dans ce style c’est le côté énervé, agressif, l’énergie qui en découle. Energie que tu donnes aussi dans le mouvement de la bombe nécessaire pour ce style de lettrage. Idem pour mes personnages il faut que l’on ressente de la force dans ce qu’ils dégagent.
Pour faire un parallèle avec la musique, j’écoutais du Métal avant et pour moi, c'est un peu le "Wild Style" du rock. Il y a d’autres styles que je regarde et qui m’intéressent, en parallèle j’essaye de bosser sur du graffiti plus basique, une forme plus simple de lettrage où tu te concentres sur la forme typographique de la lettre pour que chacune ait son énergie propre. Je conserve donc le Wild sur le mur, la lettre pure que j’essaye de développer en ce moment je la travaille beaucoup sur papier.
De la calligraphie en sorte ? Et bien tu vois, la calligraphie pour ce que j’en connais, c’est du Wild style, ce n’est jamais simple, les formes sont différentes, il y a les enluminures, les couleurs, la recherche de la lettre parfaite.
Avez-vous un maître ? C’est pareil pour tous, il y a les gens connus de la scène internationale qui t’influencent malgré toi quand tu es dans le même type de lettrage. Je pourrais citer Cantwo, Bates, Dondi (paix à son âme), Seen, en France des gars comme Mist, Mode2 pour ne citer qu'eux et aussi Ardkor qui est celui qui m’a le plus influencé et m'a donné le style que j'ai aujourd’hui. Ensuite j’ai énormément peint avec Seter en duo principalement. Nous avons toujours essayé de construire des ensembles cohérents, au niveau des couleurs mais aussi au niveau des lettres jusqu'à faire fusionner nos deux lettrages pour former un ensemble général qui a la pêche. C'est pendant cette période et à son contact que j'ai le plus progressé. C’est les gens avec qui tu peins souvent qui t'influencent le plus, comme une fusion entre les styles. Maintenant je subis plutôt l’influence de Valence et du style sudiste de là bas, ils ont pour beaucoup une certaine façon de bosser la lettre que tu ne retrouves pas ailleurs en France. D'une manière plus générale, je m'inspire de tout ce que je vois, les enseignes de magasins, la publicité, les logos, la typographie, le manga, la BD, les comics, les films, etc.
Quand avez-vous commencé le perso ? Je n’ai pas de date précise, je m’y suis mis assez vite mais je ne pose pas toujours des personnages, cela dépend de mon lettrage. Je suis un cancre en dessin, au lycée j’étais absolument nul dans la création de personnage alors je me suis tourné vers la reproduction. Un des premiers essais était le personnage de l’affiche du film Spawn, j’avais tenté aussi une repro réaliste de la fameuse tête de Nicholson sur l'affiche du film Shining. Maintenant je fais surtout des reproductions de dessins ce qui me permet de faire fusionner la ligne claire de la BD et la fameuse out-ligne des lettrages.
Comme sur beaucoup de fresques certains de vos personnages sont très Comics US, vous êtes fan de super héros ? Je n’avais pas beaucoup de connaissances en Super Héros au début, j’étais le premier à confondre Marvel et Spawn par exemple mais je me suis formé petit à petit. J’aime bien le Manga car le trait va à l’essentiel mais dans le Comics il y a la force et l’énergie que dégagent les héros. Même s’il n’y a pas le mouvement et l’effet de vitesse des Mangas, le dessin des corps, les muscles, l’effort développé par les personnages tout cela se voit, les couleurs ajoutent aussi de l’impact à ce style de dessin.
Bien que bohème faites vous parti d’un crew ? Oui, je fais partie des Nep's qui est mon tout premier crew, fondé avec mon accolyte Klone en 2000, ainsi que les T2M, SW, IKS, Jolis Cœurs, WTA et très récemment ONE.
Le graffiti à plusieurs c’est quand même assez magique, chacun apporte sa pierre et complète le travail ou règle les petites lacunes de l’autre, d’autres sont capables d’unifier le tout avec un fond d’enfer. Pour peindre à plusieurs il faut que l’alchimie passe entre nous afin de réussir à rendre cohérent un ensemble de styles différents. Mais j’aime bien aussi peindre tout seul pour avoir la satisfaction d’avoir maitrisé l’ensemble du mur et si c’est raté, si tes couleurs sont mal choisies tu n’a plus qu’a t’en prendre qu’a toi-même, tu n’as aucune excuse.
Savez vous dans combien de ville vous avez graffé ? Pas tant que ça en fait mais je retourne souvent aux mêmes endroits. Il y a le Havre et l’agglomération évidement, Rouen et sa région, beaucoup en Belgique avec le IKS crew, des jams officiels à Bruxelles à Anvers ou Gand, à Grenoble pendant mes études, à Chambéry, à Lyon où je réside maintenant, à Valence, Toulouse, Prades, Nantes, Arras, Tours, Nevers, une fois en Grande Bretagne (je ne suis d’ailleurs pas très fier de ma production Britannique !...), en Espagne et enfin à New York où je suis allé avec ma copine et deux amis. New York est une ville mythique et je rêvais de peindre là bas. Un graffeur parisien expatrié nous a tuyauté et cela nous a permis ainsi de peindre à l’américaine. Pas dans un graff Park mais dans un terrain à Flatbush dans le centre Brooklyn sous un centre commercial dans un coin qui n’a vraiment rien à voir avec un truc à touristes. Comme peut l'être 5Pointz (terrain autorisé situé dans le Queens où vont peindre majoritairement les touristes graffeurs) par exemple. Nous avons utilisé les bombes mythiques US comme les Krylon et les Rustoleum qui te niquent le doigt à la fin de la journée tellement la valve est dure mais qui sont de très bonnes bombes qui n'ont rien à envier à notre matos européen. C’était un moment magique.
Combien de graffs pensez-vous avoir réalisé ? Je ne sais pas, j’ai essayé de compter à une époque, je ne sais pas si 500 c’est beaucoup mais ça doit être dans ces eaux là. Je n’ai pas toutes les photos et ne tiens pas de compte, quand un graff est sur la fin je pense déjà au suivant et ne reviens pas en arrière.
Vous semblez aimer vous exprimer en effectuant de grandes fresques, quelles sont vos plus grosses performances ? La fresque de Prades au Sud de Perpignan, le mur fait 4m50 de haut sur 20m de long. Un truc de fou, il pleuvait et je n’avais jamais fait un perso de cette taille là. Sur un mur de cette dimension, ma technique c'est de quadriller sur papier l'image et le reporter sur le mur, cette préparation m’a déjà pris plus d’une heure et je n’avais qu’un jour et demi pour tout réaliser. Je remercie d'ailleurs mon collègue Bims qui s'est occupé de tout le mur pendant que je bossais sur ma partie. Malheureusement sur photo cela n’a pas le même rendu, tu ne te rends pas compte de la taille de l’ensemble, sur pied, sur le terrain tu ressens l’énergie dégagée par la masse de ce monstre de 4m de haut qui te surplombe. Les grandes fresques à plusieurs c’est beaucoup de boulot de préparation, de logistique, le choix du thème, les couleurs, les bombes, estimer la place dont chacun va avoir besoin, bien tout équilibrer. Tu ne fais donc pas ça tous les jours mais ce type de réunion permet d’élever le niveau.
Le Light Painting (techniques photographiques qui permet de jouer avec une source lumineuse) donne une autre dimension au graffiti. Etes-vous tenté par cette technique ? J’ai essayé avec des gars d’ici qui ont le matériel, ça n’a rien donné, je me suis peut être braqué un peu vite mais je trouve que ça se situe loin du graffiti tel que je le conçois, c’est plutôt du tag, de la calligraphie, pas du lettrage et il me manque le rapport avec le support. J'ai du mal avec le fait d'écrire dans le vide.
Que pensez-vous de la place que prend le Graffiti dans le monde des arts? Ce n’est pas nouveau mais toujours d’actualité, je suis allé récemment à la fondation Cartier qui exposait du graff et là on voit bien que l’on entre directement dans le monde de l’art. Tout cela c’est comme le light painting ça me laisse un peu froid. La toile est pratiquement le seul support possible pour entrer dans ce monde et j'ai n'ai pas envie de m'astreindre à ce support qui n’aura pas forcement la dimension et la texture que je veux. La seule chose qui m'intéresserait vraiment serait de pouvoir apporter directement mon mur peint dans les galeries, mais c'est difficilement réalisable !
Vous êtes vous frotté aux autres formes d’art urbain et qu’en pensez vous ? C’est un tout et j’aime bien. Même si je n’ai pas le même œil critique que sur le graffiti, le street art c’est la surprise. C’est comme le tag, tu tournes le coin d’une rue et tu tombes dessus. Un pochoir ou une affiche, c’est un geste interdit, spontané et gratuit qui me plaît bien. J’ai déjà fait une session de collage d'affiche, on travaillait du lettrage à la bombe sur du papier peint que l’on allait coller dans la rue. Malheureusement, le pot de colle s’est répendu et a pourri la voiture de Seter et nous ne sommes pas allés plus loin dans ce délire !
Quels sont vos goûts musicaux ? J’en ai déjà beaucoup parlé, je viens du Rock et suis passé au Rap par ma connexion avec le graffiti mais certains graffeurs comme Seen sont branchés Rock et d’autres comme Poch et Rock de Rennes tirent beaucoup d’images du milieu Punk. Mais majoritairement le monde du graffiti est Rap. On retrouve d'ailleurs souvent beaucoup de graffeurs dans les concerts de Rap un peu underground.
Vous avez graffé un peu partout, est ce que le principe du Graff Park existe en Europe ? Oui cela existe je crois en région Parisienne, l’idée en soit je la trouve cool car forcer une porte pour pouvoir peindre dans un endroit abandonné ne me plait pas et avoir des murs à disposition est tentante. Je ne connais pas de graff Park mais beaucoup de villes ont des murs légaux qui fonctionnent plutôt bien, en Belgique les espaces sont bien respectés, à Grenoble il y a 1 km de mur le long des quais à disposition. A Valence c’est pareil, il y a aussi un grand mur légal et dans la région un skate Park avec un autre mur à disposition. Au Havre ça serait jouable, les ex-murs légaux sont toujours là et on voit avec la fresque de la gare qu’il y a un certain respect et pas trop de débordements. Alors un Park dédié oui pourquoi pas, surtout que par comparaison avec d’autres villes, le milieu au Havre a un certain respect. Soyons honnêtes la ville n’est pas démontée, beaucoup de graffeurs ici font de la fresque et de la couleur et beaucoup d’entre eux apprécieraient un tel endroit, moi le premier !
Comment voyez vous l’avenir, quels sont vos projets, vos aspirations ? Je ne suis pas mécontent de la voie que j’ai empruntée, alors la même chose, en plus. Continuer la peinture et progresser. Travailler la forme la plus pure du graffiti, donner de l’énergie à la lettre. J’aimerai aussi réussir à exprimer des histoires, parler aux gens au travers des peintures comme peuvent le faire des gars comme Mode2.
Merlyn, merci en cette veille de Noël pour avoir pris le temps de répondre sincèrement à mes questions, merci aussi de m’avoir confié vos clichés pour illustrer cet article et votre mini galerie.
Dédicaces : ma chérie qui me supporte tous les jours, Cevys, Herkul, Jykswaner, Beboul, Klone, Ardkor, Prope, Pares, Myck, Seter, Icole2, Test, Eruko, Mearo, Bims, Nayus, Pheso, Iner, Korus, Stil2, Zuper, Audel, Acide, Keim, Stane, Dirgaw, Nuans et tous les gens croisés pendant ces années, à tous ceux que j’ai oublié, peace !
Propos recueillis par Mr Yak Le Havre le 24/12/2009
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Commentaires
Sans aucune étude (apparemment) d'art plastic, voila des jeunes qui sont capables d'exprimer ce qu'il ressentent sans complexe, et avec brio ! Chapeau messieurs.
Bon , je n'ai pas tout compris quand au abréviations et autres anglicisme, mais après tout, le dessin parle pour eux dans un langage universel !
@+ Yak
Marco
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